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UN PASSIONNÉ
FLAMBOYANT
Chalençon ! ce nom évoque bien évidemment le collectionneur
napoléonien, mais aussi l’homme de télévision que tout un chacun
connaît, d’abord en 2014-2015 en tant qu’expert dans l’émission Vos
objets ont une histoire sur France 2 présentée par Charlotte de
Turckheim et, depuis 2017, au travers d’une autre émission de France
2, Affaire conclue, dont il est l’un des animateurs favoris avec Sophie
Davant. Né à Rueil-Malmaison, le même jour que l’impératrice
Joséphine, il ne pouvait donc échapper à son destin ! À huit ans, il
découvre Napoléon. À dix-sept ans, il vend son scooter et sacrifie ses
économies pour faire son premier achat important, une lettre de
Napoléon annonçant la victoire d’Iéna. Fort de son adage selon lequel
un collectionneur doit dépenser au-delà de ses moyens pour faire
progresser sa collection, il est parvenu en une trentaine d’années à
regrouper le plus bel ensemble d’objets ayant appartenu à l’Empereur,
à sa famille et à son entourage proche. S’il est impossible d’énumérer
les quelque deux mille numéros que comporte ce magnifique
regroupement d’objets, c’est parce que, à l’encontre des musées dont
les oeuvres sont inaliénables, sa collection évolue
au gré des opportunités, s’enrichissant parfois d’oeuvres majeures qui
viennent remplacer d’autres de moindre importance dont le
collectionneur souhaite se séparer. On les retrouve alors chez d’autres
collectionneurs, ou bien dans des musées ce qui prouve la qualité des
pièces de cette collection. Pierre-Jean Chalençon ne passe jamais
inaperçu dans les salles des ventes, au point que, à Drouot comme
chez Christie’s, tout le monde l’appelle Napoléon. Pierre-Jean est
l’Empereur, et il l’assume sans aucune gêne ! La collection est son
meilleur ambassadeur. Il la fait voyager d’un continent à l’autre, et
ceci depuis la première exposition qui se tint à Melbourne en Australie
(1999), en passant par Washington DC (2005) et une dizaine d’autres
musées américains, jusqu’à celle qui s’ouvre cet automne à Shanghai.
Outre ces différents lieux, il a exporté l’Empereur à Bogotá en
Colombie, à la basilique Notre- Dame de Montréal, au Hamilton Art
Gallery au Canada et en Chine... Et le périple est loin d’être terminé.
D’une très grande générosité, Pierre-Jean Chalençon n’a cessé de
prêter les oeuvres de sa collection aux grandes institutions muséales
françaises comme le Panthéon, les musées de Versailles et de
Malmaison, ou encore le musée Fesch à Ajaccio. Nombre d’oeuvres
acquises à l’étranger ont pu, grâce à lui, rentrer en France. Membre du
Comité directeur du Souvenir napoléonien, il est également
administrateur du Cercle France Napoléon dont le but est de
promouvoir l’image de Napoléon Ier et de Napoléon III, ainsi que de
mettre en rapport les collectionneurs du Premier et du Second Empire.
Citons enfin que, de 1989 à 2001, il fut l’ami et le confident de
Charles Trenet, qui lui racontait ses souvenirs depuis les Années
folles, souvenirs dont il fit un livre passionnant magnifiquement
illustré, sorti en 2005 et préfacé par Jacques Higelin.
Venons-en maintenant au dernier volet – et non des moindres – de ce
personnage hors du commun. Pierre-Jean Chalençon s’était vite rendu
compte que son appartement de la rue de Rivoli était bien trop exigu
pour abriter toute sa collection. Aussi se lança-t-il dans une opération
improbable et même un peu folle : l’acquisition de tout l’étage noble
d’un ancien hôtel particulier. Il le baptisa aussitôt le Palais Vivienne,
car situé au numéro 36 de cette rue. Il s’agit des vestiges de l’hôtel
construit par Lassurance de 1706 à 1710 pour Rivié de Riquebourg
qui le céda dès 1711 au contrôleur général des finances, Desmarets de
Maillebois. Passé dans la famille de Montmorency au xviiie siècle, il
est éventré au tout début du xixe siècle a n de construire le passage des
Panoramas. Dans les années 1830, l’architecte Grisart signe la
majestueuse façade donnant sur la rue Vivienne. Après avoir abrité
dans les salons réaménagés le cercle particulier du duc d’Orléans, ls
du roi Louis-Philippe, puis l’Académie de peinture fondée par
Rodolphe Julian, il était dernièrement le siège de la société Havas.
Sauvé de la ruine, entièrement restauré par Pierre-Jean Chalençon, les
magnifiques salons aux plafonds hauts de plus de 7 mètres abritent
désormais une partie de cette mythique collection.
De quoi se compose donc cette collection ? Absolument de tout, qu’il
s’agisse de peintures, de sculptures, d’objets d’art, de manuscrits ou
de livres ; il est impossible de l’appréhender dans sa totalité. La vie de
l’Empereur y est retracée dans sa globalité, qu’il s’agisse de ses
portraits peints comme ceux par Gros en Premier consul, par Gérard
en costume du sacre, par Mauzaisse qui reprend le fameux passage des
Alpes de David, ou bien par Delaroche pour les oeuvres de la légende ;
ou qu’il s’agisse des bustes d’après Canova, Houdon, Moutoni ou
Chaudet. Nombre d’objets personnels retracent sa vie quotidienne : le
mythique bicorne, ses cou- verts, son lit de campagne ou, plus
émouvants encore, les souvenirs de Sainte-Hélène, vêtements,
argenterie, porcelaine de Sèvres, livres, extraits de ses dernières
volontés et jusqu’à ses leçons d’anglais ! Les deux impératrices et le
roi de Rome ne sont pas oubliés, avec des documents essentiels de la
vie de Joséphine comme son acte de mariage religieux et le dossier de
l’annulation de ce même mariage qu’accompagnent son splendide
portrait par Regnault, sa table de toilette utilisée à Saint-Cloud, ainsi
que de nombreux livres provenant de sa bibliothèque de Malmaison.
De Marie-Louise, retenons ses effigies peintes par Gérard ou la
montre à son chiffre enrichie de perles. Et comment ne pas mentionner
ces précieux souvenirs du petit roi de Rome comme le moulage de sa
main ou une partie de sa layette ?
Les investigations de Pierre-Jean Chalençon le poussent à rechercher
des souvenirs ayant appartenu aux différents membres de la famille
impériale et tout d’abord aux enfants de l’impératrice Joséphine, le
prince Eugène et la reine Hortense. Du premier, citons son beau
portrait peint par Gros alors qu’il n’avait que dix-huit ans ou bien des
éléments de ses services de table provenant des manufactures de
Sèvres ou de Dihl et Guérard, tandis que sa soeur est représentée par
de beaux objets de présent telle une bague ou une tabatière, toutes
deux marquées de son chiffre. De splendides objets provenant de
Joachim Murat, époux de Caroline la soeur de Napoléon, enrichissent
cet ensemble : bassin et pot à eau en vermeil par Biennais,
extraordinaire jatte à eau et son pot en porcelaine de Sèvres ou
somptueux encrier en forme de navire offert
par Napoléon. Mentionnons également le monumental lit ayant
appartenu à Jérôme roi de Westphalie, sans oublier les nombreuses
oeuvres signées par David, Prud’hon ou Isabey, ainsi que des meubles
provenant du palais de Saint-Cloud qu’accompagne l’ensemble
complet des sièges du théâtre des Tuileries par Jacob, mobilier classé
trésor national !
Tout ceci ne forme que la partie émergée d’un iceberg dont l’heureux
propriétaire ne saisit pas toujours toute l’ampleur, tant la collection
évolue au gré de ses envies. De par la qualité artistique et la
provenance de ses objets, elle est absolument unique et on ne peut
qu’être admiratif d’avoir pu réunir tant de chefs-d’oeuvre en si peu de
temps. Nous lui souhaitons encore de nombreuses années
d’enrichissement a n d’en faire la plus belle collection napoléonienne
au monde.
Bernard Chevallier
LA GENÈSE
D’UNE PASSION :
SUR LES TRACES DE PIERRE-JEAN
CHALENÇON
PAR DAVID CHANTERANNE
À quoi tient qu’une vie soit consacrée à Napoléon ? Comme le confie
Pierre-Jean Chalençon, c’est, souvent, par le plus grand des hasards.
Enfant, il a été conduit à s’intéresser à l’épopée impériale par un simple
cadeau. « Ma passion est née à huit ans avec une bande dessinée éditée par
Nathan, se souvient-il. C’était un livre pour enfants, que je viens d’ailleurs
récemment de retrouver. Très illustré et destiné aux jeunes lecteurs, il
Et, fait assez rare pour être souligné, il ne comportait aucune erreur
historique. Cela m’a fasciné. J’ai commencé par les images, puis la
découverte des textes m’a permis de mieux connaître la vie de Napoléon. »
Rencontres impériales
Très jeune, il se plaît alors à rassembler les informations, en un temps
où Internet n’existe pas. Puis vient le moment de la recherche des
pièces originales. « La première oeuvre que j’ai acquise était la
proclamation du préfet des Bouches-du-Rhône annonçant le retour de
Napoléon en 1815. Le document précisait que tous ces aventuriers
prêts à suivre Napoléon étaient qualifiés de “salariés de l’île d’Elbe”.
Je touchais du doigt l’histoire. » Comme les scientifiques, il ne se
contente plus de compiler, mais il revient aux sources de la
connaissance. Et, chose assez rare, seul l’Empereur trouve grâce à ses
yeux d’adolescent. « Je devais avoir onze ans, se souvient-il. Maman
m’avait offert ce décret après l’avoir trouvé chez un marchand
d’autographes de Saint-Germain-en-Laye. Mais ensuite j’ai pu acheter
moi-même une lettre d’Émile Zola. En fait je devenais, sans le savoir
tout à fait, un collectionneur.» Le mot est lancé. Sa vie ne sera plus la
même.
Très tôt, il côtoie plusieurs experts et historiens qui lui transmettent
leur savoir. De Bernard Chevallier, ancien directeur des châteaux de
Malmaison et Bois-Préau, au professeur Ledoux-Lebard en passant
par Charles Trenet, Robert Prigent, les barons Gourgaud ou de
Méneval, Robert Hossein ou François Pinault, une succession de
rencontres orientent ses recherches. « C’est comme pour un
rugbyman, avoue-t-il. Il fallait transformer l’essai. Nous sommes tous,
chacun à sa façon, prédisposés à aimer tel ou tel domaine. Pour ma
part, j’avais trouvé ma voie. J’ai ensuite pu transmettre ma passion à
mes amis, et aujourd’hui à mes collègues et collaborateurs que sont
Tarik Bougherira ou Damien Lopes. Je ne me considère pas comme
l’unique dépositaire de l’oeuvre de Napoléon, mais comme l’un des
maillons essentiels d’une plus grande chaîne qui me dépasse.»
Sur les pas de Napoléon
Il visite alors de nombreux lieux historiques, en particulier des
maisons de personnalités et des châteaux. Et, de nouveau, avant même
Fontainebleau ou Compiègne, c’est à Malmaison, résidence liée au
souvenir de Joséphine, qu’il retrouve Napoléon alors qu’il n’a que
treize ans. Cette fois, les jardins, les communs qui abritent l’ancienne
berline impériale et le corbillard de mai 1821, la tente qui fait of ce de
véranda le marquent. Il raconte: « C’est là que j’ai connu le premier
coup de foudre pour l’Empereur. Avant ce n’était encore que
balbutiant. Mais après avoir découvert la somptueuse bibliothèque
avec ses décors, cela m’a fasciné. Ces volumes reliés en maroquin
rouge, frappés des armes impériales sur fond
or, ont touché mon imagination. » Ce sont ensuite tous ces objets de la
demeure de Joséphine, conservés dans les décors mytho- logiques
d’Ossian, qui ont suscité sa vocation et véritablement con rmé sa
passion.
Aux Invalides, véritable « Panthéon des Bonaparte », puis à Sainte-
Hélène, que Napoléon lui-même enfant avait définie comme une «
petite île », il effectue régulière- ment des pèlerinages pour retrouver
l’âme du grand homme. Il le vénère. À chaque fois, il est gagné par
l’émotion. La lecture des ouvrages de Jean-Paul Kauffmann, sur le
bateau qui le conduisait sur les mers du Sud, lui a aussi rappelé que
seules les « forces de l’esprit » parviennent à emporter l’adhésion. Et
immédiatement, il s’est senti investi d’une mission, considérant sa
contribution comme essentielle à la gloire impériale. Il dit même : « Je
me suis fait tout seul. Fils d’un journaliste et d’une modiste, vivant
toujours au-dessus de mes moyens, je n’abandonne jamais. Rien n’a
été plus fort que l’émotion que j’ai ressen- tie à Longwood, dans la
dernière maison occupée par Napoléon entre 1815 et 1821. Ce dernier
exil, en prisonnier des Anglais, a été son calvaire. En pensant à ces
instants, j’en ai encore des frissons. »
Davantage que le règne, il s’agit avant tout d’une recherche inlassable
de la personnalité de Napoléon, de sa psychologie. Il tente tou- jours
de déceler l’âme à travers les témoi- gnages qui ont traversé le temps.
C’est ainsi qu’une des lettres de Bonaparte adolescent, alors âgé de
quinze ans et demandant à l’un membre de sa famille de venir lui
rendre visite à Brienne, continue de passionner Pierre-Jean. Il ne
parvient pas à
s’enthousiasmer de la même manière pour un décret signé aux
Tuileries ou pour un plan militaire annoté sur le champ de bataille
d’Austerlitz. Ce n’est pas uniquement l’épopée, mais également la
silhouette qu’il tente de déceler. À un uniforme clinquant d’un
maréchal, il préfère toujours une simple manche de l’habit du Premier
consul, moins « atteuse » mais plus émouvante.
La passion des objets
Inlassablement, il poursuit donc sa quête dans les pas de l’Empereur.
Et tout cela est né lors d’un voyage aux États-Unis qui a totalement
bouleversé sa vie. De passage à New York pour un séjour linguistique
de trois semaines, pro tant des longues grèves pari- siennes de 1995
qui l’empêchent de pour- suivre ses études, il apprend qu’un codicille
du testament de Napoléon sera bientôt mis en vente. Son sang ne fait
qu’un tour. Mais hélas, le catalogue précise qu’il faut se rendre... à
Londres ! En d’autres termes, il lui faut immédiatement prendre un vol
vers l’Angleterre s’il veut apercevoir le document.
Et quel document : il s’agit ni plus ni moins de l’un des rares extraits
du testament réglant les détails de l’héritage de son héros. L’ancien
souverain, alors exilé entre Afrique et Brésil, avait sans cesse ajouté
ou précisé sa pensée jusqu’aux derniers jours de son existence. «
J’étais excité au plus haut point, se rappelle-t-il. Jamais je n’aurais cru
pos-sible de pouvoir consulter un tel manuscrit, signé de la main de
Napoléon. A fortiori de pouvoir l’acheter ! Cela fait partie des trésors
de notre patrimoine, l’une des rares pièces encore en main privée.
»
Et s’il lui prenait l’envie de l’acheter ? Mais il faut pour ce faire réunir
une somme importante. Encore simple élève d’école de commerce, il
n’a pas les moyens de son ambition. Alors, avec l’argent d’un prêt
étudiant, environ 50 000 francs de l’époque, et à l’aide d’un de ses
amis, il boucle le budget requis. Et attend fébrilement la vente. Et
comme par enchantement, en un temps où les passionnés russes et
américains n’ont pas encore pris part à la folie des enchères, il
parvient à emporter la mise. Sa plus belle victoire.
Il appelle immédiatement ses amis experts. Personne ne le croit ! Il
réunit alors tout ce qu’il trouve sur ces heures tragiques au cours
desquelles Napoléon a dicté à ses compagnons d’exil ses dernières
volontés. Et après un dur labeur, il apprend que la famille du général
Bertrand, alors ancien grand-maréchal du palais, avait vendu le
codicille à un marchand de l’époque, lequel l’avait proposé aux
Archives nationales qui ne l’avaient pas jugé intéressant. C’est ainsi
que le manuscrit s’était retrouvé en Angleterre pour une estimation de
300 000 francs. Mais comme aucun particulier, ni aucune institution,
n’avait daigné s’y intéresser, c’est un étudiant passionné, venu de
Paris, qui était parvenu à s’en porter acquéreur pour six fois moins
cher ! Le tout au nez et à la barbe des plus grands collectionneurs.
Pour autant, Pierre-Jean n’en tire aucune gloire personnelle. « Il fallait
être là au bon moment. Cela avait déjà été le cas de la première lettre
que j’avais achetée de l’Empereur qui annonçait la victoire d’Iéna.
J’avais dû cette fois me séparer de mon scooter pour pouvoir l’acheter.
» Garde-t-il une certaine nostalgie de ces premiers achats ? Au
contraire : seul l’avenir l’intéresse. Il avoue : « Cela ne m’empêche
pas de regarder devant moi. Depuis maintenant plus de vingt ans, j’ai
énormément renouvelé mes acquisitions. Une telle collection doit
vivre, évoluer et, au fil du temps, mieux correspondre à l’idée que l’on
se fait de son propre “trésor”. Quel que soit le domaine auquel on se
consacre, il faut toujours se remettre en question. »
Dans l’intimité du Grand Homme
En fait, Pierre-Jean ne s’interdit rien. Aussi, toujours dans le but de se
renouveler, il n’hé- site pas à se départir d’une petite étude du peintre
Édouard Detaille qui représente Bonaparte lors de la campagne
d’Italie pour ensuite mieux acheter la magistrale toile issue de ce
croquis préparatoire. C’est en quelque sorte un puzzle dont il faut sans
cesse améliorer les différentes pièces. Suivant la même logique, après
s’être notamment séparé de plusieurs oeuvres napoléoniennes au cours
d’une incroyable vente organisée par la mai- son Osenat à
Fontainebleau, il a depuis racheté cinq oeuvres majeures dont il s’était
pourtant séparé. Il continue donc d’arpenter les maisons de ventes, à
Drouot ou en province, et entretient des relations avec d’autres
collectionneurs privés. Non seulement pour partager sa passion, mais
aussi pour « échanger » parfois. Ainsi, avec son grand ami Christophe
Forbes ou d’autres personnalités, il n’a de cesse de peaufiner et de
rechercher à travers le monde les raretés en tous genres. Aujourd’hui,
ce
sont les portraits par David ou Delaroche, la boîte à jeux de
l’Empereur ou à bijoux de Joséphine, le lit d’apparat du roi de
Westphalie qui forment l’ossature de son formidable et inestimable
assemblage.
Seules quelques rares pièces l’ont donc suivi durant toutes ces années.
C’est notamment le cas d’une pétition adressée par tous les peintres
français au Directoire. « Pouvoir découvrir sur un seul et même
document les signatures de David, mais aussi de Gérard, Vernet,
Redouté ou Fragonard, du miniaturiste Isabey, du sculpteur Chaudet
aux côtés de celles des architectes Percier et Fontaine, m’émeut. Cela
me confirme ce que pouvaient auparavant envisager les spécialistes
d’histoire de l’art sans en avoir la preuve irréfutable : tous ces artistes
formaient une seule et même famille. »
Même le bicorne, dont il est l’un des rares propriétaires privés, ne
l’émeut plus autant qu’autrefois. Il préfère le madras dont se coiffait
Napoléon pendant l’exil hélénien et qu’il souhaite présenter à La
Biennale. Au-delà du stratège et du chef de l’État, du génie civil et
militaire, Pierre-Jean cherche à retrouver l’âme de Napoléon. Un
travail de bénédictin, au service d’une passion intime. Avec toujours
pour exigence de vérifier l’authenticité, la « traçabilité » la plus
précise de l’objet sur lequel il a jeté son dévolu. Il faut à chaque fois
une certaine « qualité-musée ».
À la recherche de la rareté
Après avoir réuni tant d’oeuvres différentes, c’est maintenant moins
l’objet que l’excitation qu’il recherche. Un sentiment unique, mêlant
l’euphorie à la peur, celle de manquer une belle opération. L’avantveille,
tout débute par la pré- sentation publique de l’objet convoité.
Puis de nouveau le matin de la vente, après avoir étudié les autres
documents et archives, il revoit avec davantage de détails le tableau, la
sculpture, le meuble ou le manuscrit. Et surtout il rencontre les autres
acheteurs potentiels. Leurs avis et leurs conseils l’intéressent. Il s’en
amuse : cela ressemble pour lui à un duel pour lequel on doit se
préparer méticuleusement. On songe évi- demment au lm L’Homme
pressé, avec Alain Delon, où le héros tente par tous les moyens
d’acquérir l’objet de ses rêves et meurt subite- ment d’une crise
cardiaque.
Sans atteindre à cette extrémité, lorsque débutent les enchères, le coeur
de Pierre-Jean palpite, ses mains deviennent moites. Mais parfois, il
lui arrive aussi de ne pas se rendre sur place. Comme pour mieux
conjurer le sort. « Deux possibilités s’offrent à moi, explique- t-il. Soit
je m’installe dans la salle, avec toute la dose d’adrénaline que l’on
imagine. Soit je propose une réserve par téléphone, lorsque mon
agenda ne me permet pas d’enchérir directement. Mais dans tous les
cas, le même sentiment m’étreint. Cela avait débuté lors d’un premier
achat d’une toile du baron Gros.
J’avais demandé à l’un de mes amis de me remplacer, de peur d’être
reconnu et surtout trop angoissé à l’idée que d’autres passionnés
prennent prétexte de ma présence pour faire monter artificiellement
les enchères. »
Car sa popularité peut parfois lui être préjudiciable : en sa présence,
certains amateurs se prennent à rêver de lui disputer une « bonne
affaire » que seul lui sait pouvoir dénicher. Il sert d’une certaine façon
de caution, de gage de qualité. Il accepte avec bonne grâce, avouant
que le jeu en vaut la chandelle. Il ne craint pas, notamment pour
acquérir la table de toilette de Joséphine puis de Marie-Louise au
château de Saint-Cloud, de donner des ordres à l’expert de New York
alors que lui- même se trouve à Bogotá ! Il ne peut se résoudre à
passer à côté d’un tel chef- d’oeuvre de marqueterie. « J’étais prêt à
aller jusqu’à 250 000 euros, raconte-t-il. Et nale- ment je suis parvenu
à l’avoir pour moins de 40 000 euros actuels. C’était fantastique.
Depuis cet achat, je n’ai pas encore trouvé la
place idéale pour la présenter : elle se trouve encore chez le
transporteur. » Il est vrai que son domicile comporte déjà de multiples
pièces de qualité : d’extraordinaires mobiliers, tels ceux des
maréchaux Berthier ou Mortier, des fauteuils autrefois commandés
pour les Tuileries. Et deux salons sont même classés « trésor national
».
Un expert reconnu
Cette connaissance avérée, et surtout son « oeil » si sûr lorsqu’il lui
faut dénicher une rareté au milieu de plusieurs éléments anodins, en
ont tout naturellement fait un expert en la matière. Il a ainsi exercé son
talent chez de prestigieuses maisons, en particulier pour Christie’s ou
auprès de Jean-Pierre Osenat à Fontainebleau. Ce sont ainsi des
centaines de particuliers qui ont bénéficié de son expérience, et bien
évidemment de ses nombreuses heures passées à trier, à fouiller et
surtout à découvrir derrière le moindre élément la partie à valoriser.
Sa façon d’expertiser est devenue chirurgicale. Il en vient même
parfois à porter son intérêt sur d’autres personnages de l’histoire, à
s’intéresser à d’autres périodes. Aujourd’hui, ses centres d’intérêt
portent des débuts du xviiie siècle à l’extrême n du xixe siècle. Luimême
descendant de la famille Polignac, très liée à Marie-Antoinette
et aux aristocrates européens, il ali